Introduction - Garantir à chaque patient un égal accès au juste soin

GENERALITES
23/12/2019
Document

Marc GIROUD, 2009

 


Garantir à chaque patient un égal accès au juste soin

En réponse à une demande lui parvenant généralement par téléphone et relative à une urgence médicale, la régulation médicale a pour mission (1)  de déterminer et déclencher :

  • la réponse la mieux adaptée,
  • dans le délai le plus rapide.



La réponse la mieux adaptée…

La finalité originelle de la régulation médicale était, il y a trente ans, de limiter les sorties du SMUR que l’on venait juste de mettre en place.
Depuis lors, le champ d’intervention de la régulation médicale s’est considérablement élargi : les réponses (transport non médicalisé, visite du médecin généraliste, conseil) qui, au fil des ans, avaient surtout été développées pour servir d’alternatives au SMUR représentent aujourd’hui une part importante et croissante de l’activité.
La régulation médicale effectuée à l’hôpital au sein des SAMU-Centres 15 est à présent le pivot de l’organisation et du fonctionnement, non seulement de l’aide médicale urgente, mais également et avec autant d’importance, de la permanence des soins en médecine ambulatoire.
La régulation médicale est un nouveau service public et une pièce majeure du dispositif de santé publique qu’elle contribue, du reste, à structurer. Mais, elle est également reconnue comme une nouvelle composante de l’art de soigner dont la particularité est d’être pratiquée au téléphone.
Ainsi, la régulation médicale a-t-elle, aujourd’hui, deux finalités : optimiser l’usage des ressources en coordonnant l’action des intervenants (finalité communautaire) ; apporter une aide à chacun des patients pour lesquels elle est sollicitée (finalité individuelle).
La question, dès lors, est de savoir selon quel paradigme le médecin régulateur doit décider de la réponse la mieux adaptée : le paradigme de « la régulation médicale - instrument de santé publique » (préservation de la disponibilité des ressources nécessaires pour assurer la protection d’une population) ou celui de « la régulation médicale - acte médical » (emploi des ressources disponibles pour assurer, au mieux, les soins à une personne) ?
Ce développement n’a pas qu’un intérêt académique.
Le positionnement du médecin régulateur (qui peut se sentir tiraillé entre les deux logiques) conditionne, en effet, sa stratégie de réponse aux demandes.
Le débat sur le bon positionnement du médecin régulateur s’éclaire si l’on considère que la régulation médicale est un acte médical.
Dans cette logique, en effet :

  • il n’est, naturellement, pas choquant que, comme prescripteur, le médecin régulateur ait le souci d’utiliser les ressources à bon escient et de façon optimisée ; chacun, dans une démarche citoyenne, doit, en effet, s’efforcer d’obtenir le meilleur résultat au moindre coût, sachant que ce qui n’est pas utilisé pour l’un pourra, le cas échéant, profiter à un autre,
  • mais ce serait une grave erreur que de considérer le médecin régulateur comme étant essentiellement chargé de réguler l’emploi des ressources ; l’essence même de tout acte médical est, en effet, de prendre en charge à un moment donné un patient donné en faisant pour lui tout ce qui est raisonnablement possible, sans prendre prioritairement en compte le coût que cela implique pour la collectivité,
  • l’évaluation des pratiques professionnelles, et elle seule, est le fondement des règles de bonne pratique pour le juste emploi des ressources.

La confirmation, s’il en était besoin, viendrait du Juge qui place constamment au premier plan le cas concret de la personne dont la prise en charge a été confiée au SAMU-Centre 15 (affirmant ainsi la finalité individuelle de la régulation médicale) ; et la seule raison admise comme valable pour justifier l’abstention dans l’envoi du SMUR face à un risque potentiellement contenu dans le motif de recours (ce qui est souvent le problème posé), est la stricte application d’une règle professionnelle écrite (protocole, consensus).
Une attitude trop restrictive dans l’emploi des moyens lourds explique, d’ailleurs, une bonne partie des échecs dramatiques de la régulation médicale et peut nourrir au sein du public un certain ressentiment à l’encontre du système SAMU-SMUR dans son ensemble.
Le médecin régulateur doit, d’une façon rationnelle, évaluer le risque auquel le patient est exposé pour en déduire la réponse à même de lui garantir la meilleure qualité-sécurité de prise en charge, selon les règles de bonne pratique professionnelle et dans la seule limite des ressources actuellement disponibles. Il doit, naturellement, envoyer d’emblée le SMUR dans toutes les situations indiquées dans ce Guide ; mais il doit aussi le faire (et le faire immédiatement) dès qu’il a un doute lui faisant évoquer la possibilité de l’une de ces situations.
Il doit prescrire l’engagement du SMUR sans prendre en compte le fait qu’il prive, de ce fait, un hypothétique patient ultérieur de cette ressource (comme il prescrirait un scanner en urgence, en couvrant largement les situations de doute).
Louis LARENG aimait à répéter qu’il faut aussi savoir ne pas réguler ! C’est-à-dire accepter de ne pas tout comprendre d’une situation donnée, et savoir s’arrêter, avec bon sens, au simple constat d’un risque que rien ne permet raisonnablement d’écarter.
S’agissant de l’engagement du SMUR, « dans le doute, on ne s’abstient pas ! »
Le médecin régulateur est parfois amené à s’interroger sur la légitimité à engager en pré-hospitalier une équipe SMUR basée aux Urgences dans le cadre d’une mutualisation.
La réponse est claire : le médecin régulateur doit d’abord prendre sa décision d’engager le SMUR sans considérer ni la mutualisation du SMUR, ni l’éventuelle surcharge des Urgences ; puis il doit mettre en application sa décision ; si, à ce moment-là, il constate l’indisponibilité absolue du médecin du SMUR (parce qu’il est en charge d’un patient grave et instable qu’il ne peut confier à personne d’autre), le médecin régulateur doit alors prendre les mesures appropriées (généralement déclencher un autre SMUR).


… dans le délai le plus rapide :

La régulation médicale ne prend, elle-même, que très peu de temps : seulement quelques minutes (en outre, l’échange téléphonique est d’autant plus rapide que la situation est plus critique). Ces quelques minutes investies ont pour effet  -et c’est là un des résultats les plus tangibles de la régulation médicale- de faire gagner au patient des dizaines de minutes, voire des heures, par une prise en charge d’emblée appropriée.
« Prendre le temps d’aller vite » est le fondement même de la régulation médicale. Mais la bonne gestion du temps n’est pas chose facile ; bien au contraire, elle est un combat sur tous les fronts.


Le délai de réponse à l’appel téléphonique :

Les SAMU-Centres 15 ont des délais pour décrocher qui dépassent ce qui est acceptable. SAMU de France fixe comme objectif que 99% des appels soient décrochés dans la minute, avec un traitement de l’appel immédiatement engagé dans les cas les plus urgents. Tout doit être fait pour atteindre cet objectif.
La poursuite du renforcement des équipes de permanenciers est nécessaire, mais insuffisante.
L’organisation des centres de régulation médicale doit aussi être améliorée par la mise en place d’outils de télécommunication modernes (téléphonie avancée) et par une réorganisation visant spécifiquement (au moins aux heures de pointe) à réduire les délais de réponse par la mise en place d’une fonction (à créer) de tri initial des appels.

La pertinence dès la première réponse :

Certaines stratégies de régulation peuvent s’avérer délétères. Il en est ainsi de l’envoi préalable d’un premier intervenant, généraliste, infirmier, ambulancier ou pompier, dans le dessein de confirmer la nécessité de l’engagement d’un SMUR en seconde intention (c’est-à-dire une trentaine de minutes plus tard).
Deux situations sont trop souvent à l’origine d’un délai indu : l’éloignement du patient d’une part, et le doute sur la gravité de son état d’autre part ; les deux situations pouvant d’ailleurs être combinées.
Le délai supplémentaire supporté par le patient est d’autant plus pénalisant que le trajet pour se rendre auprès de lui est plus long (milieu rural isolé).
Pour cette raison, le SMUR doit être déclenché d’autant plus volontiers et d’autant plus rapidement que le patient en est plus éloigné (et non pas l’inverse), sachant qu’il sera possible d’annuler le concours du SMUR en fonction du bilan passé par le premier intervenant.
Pour apprécier et faire évoluer la qualité et la sécurité de la régulation médicale sur ce point, il importe de développer l’usage d’indicateurs tels que : nombre de patients graves arrivant aux urgences sans le bénéfice du SMUR et taux de déclenchement du SMUR en deuxième intention (pour le patient la différence est, en effet, très grande entre un SMUR déclenché d’emblée et un SMUR déclenché en deuxième intention).

L’orientation directe du patient vers l’unité de soins la mieux adaptée :

C’est un des rôles majeurs de la régulation médicale que de déterminer une orientation appropriée et d’organiser l’admission directe du patient dans une structure de soins spécifique. Mais, aujourd’hui, la pression financière (T2A) atteint des degrés tels que l’on peut craindre que les médecins régulateurs ne soient incités par les gestionnaires à recourir à certaines structures plutôt qu’à d’autres. De telles pressions ne sont pas acceptables ; les médecins régulateurs doivent (au besoin, par une action collective) tout faire pour garantir leur indépendance professionnelle, qui est l’un des piliers de l’éthique médicale et l’une des garanties fondamentales de l’accès pour tous au juste soin.

Le suivi systématique de tous les cas :

Les SAMU-Centres 15 - héritage de leur histoire initialement centrée sur les seules interventions des SMUR - n’assurent le suivi que des cas les plus lourds. Or, l’analyse des échecs de la régulation médicale montre clairement que les risques portent essentiellement sur des cas perçus au départ comme légers.
Le suivi systématique, par exemple dans un délai d’une heure, des cas n’ayant pas fait l’objet d’une intervention lourde (conseils, notamment) permet de rattraper certaines erreurs initiales d’orientation ou certaines incompréhensions, de prendre en compte une évolution imprévue ou encore une défaillance de la permanence des soins (très fréquente comme facteur principal ou comme co-facteur dans la survenue des échecs les plus dramatiques).
Ce suivi est une action préventive qui permet, le cas échéant, de limiter le délai à la mise en œuvre de la réponse adaptée. Au-delà de cette utilité, le suivi systématique apporte un retour d’information précieux au médecin régulateur et au service (démarche qualité).
En outre, la pratique de ce suivi s’avère particulièrement bien perçue par le patient qui, de ce fait, renforce sa confiance dans le SAMU-Centre 15.

L’anticipation :

Maître-mot de la gestion du temps, l’anticipation est un principe d’action majeur de la régulation médicale. Ce principe est bien connu et largement appliqué au quotidien. Mais sa déclinaison dans les situations exceptionnelles dépassant les capacités d’un seul département est insatisfaisante et justifie un développement.
L’analyse des cas révèle des résistances à la mise en jeu immédiate de l’entraide au sein du réseau des SAMU.
Deux facteurs freinent, en effet, la rapidité de la mise en œuvre d’une réponse collective adaptée : le premier est la réticence des professionnels à accepter ce qu’ils vivent comme l’ingérence d’autres équipes dans leurs affaires ; le second est le sentiment, constamment observé chez les professionnels se trouvant plongés dans une situation critique, de « gérer » la situation de façon satisfaisante, ceci même lorsque cette « gestion » fait appel à des solutions très dégradées et à un investissement personnel presque surhumain. Or, une évidence s’impose : la bonne gestion du temps dans ces situations critiques passe par l’anticipation de l’assistance que peuvent apporter les SAMU voisins ; ceci sans attendre le premier bilan (bilan qui tarde toujours à venir et qui tarde d’ailleurs d’autant plus que la situation est plus complexe, donc potentiellement plus grave).
Cette anticipation d’assistance par le réseau des SAMU signifie que, dès la connaissance de l’existence d’une situation critique dans un département (accident de bus, incendie d’un immeuble d’habitation…), les SAMU voisins doivent envoyer tous les moyens susceptibles d’être mobilisés et les mettre à la disposition du SAMU concerné ; cette anticipation ne devant être ajustée ou levée qu’à la réception d’une « information documentée » émanant du SAMU concerné et faisant état, d’une part, d’une analyse convenable du risque et, d’autre part, d’une maîtrise de la situation avec des moyens sur place suffisants. Toute attitude contraire (pour des raisons de préséance qui ne manqueraient pas d’apparaître comme futiles) serait une perte de temps et donc une perte de chances pour les victimes et un inacceptable défaut d’assistance.

Bibliographie
(1) Décret n° 87-1005 du 16 décembre 1987 relatif aux missions et à l'organisation des SAMU.
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